La sculpture et l’art sacré

La qualité devrait être la condition de l’union de la sculpture avec le sacré mais la distinction des deux termes art et sacré, ainsi que leur noblesse propre font que la plupart des œuvres dites « art- sacré » expriment l’impossibilité de cette union.

La sculpture, expression millénaire de l’art, s’est souvent frottée à la notion du sacré. Pourtant, une analyse approfondie révèle que ces deux dimensions, bien que parfois mêlées, tendent à s’opposer.

  • L’art au sens noble cherche à s’émanciper des contraintes
  • le sacré tend à orienter la création vers un objectif spirituel ou religieux.
    Cette tension soulève une question fondamentale : l’étiquette d’« art sacré » n’évoque-t-elle pas une contradiction intrinsèque ?

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L’art en quête de liberté

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Virgile et Dante dans le neuvième cercle de l'enfer

Par essence, l’art est une manifestation de liberté. Il exprime la quête d’évasion des dogmes et des objectifs utilitaires.
Une œuvre artistique, qu’elle soit peinture ou sculpture, transcende les limites imposées par des institutions ou des attentes sociétales.
Elle devient un espace d’exploration personnelle où le créateur- artiste, délivré de toute finalité autre que celle de sa propre expression, produit une magie indépendante.

En revanche, le sacré impose une fonction. Une sculpture dédiée à un usage religieux, qu’il s’agisse d’une statue de la Vierge à l’Enfant ou d’un Christ en croix,
n’est pas seulement un objet esthétique. Elle devient un médium à travers lequel le spirituel cherche à se rendre visible. Ce processus de « conduire vers » ou de guider l’âme humaine prive l’œuvre de l’autonomie que l’art exige.

Le sacré est une option de l'art

Dans le sujet de l’art sacré le fonctionnel oriente la sculpture puisqu’il l’associe à la “mission” du lieu dans laquelle elle est placée : une église, un temple…
L’autel peut être un essai d’association d’art et de sacré.
Mais dans ce cas la beauté est une notion différente de la beauté de l’œuvre d’art au sens commun.

L'autel

L’autel est mobilier de culte ; en tant que tel il n’est pas qualifié « d’oeuvre d’art » et il ne peut l’être dans la mesure il relève d’une utilité, d’une fonction spécifique, pratique. 

Le sacré : une dimension qui dépouille l’Art

Le sacré est, par définition, tourné vers l’autre : Dieu, la communauté de fidèles, ou encore un mystère transcendé. Il exorcise l’œuvre artistique de sa magie intrinsèque en l’assignant à une mission. Ainsi, le sacral tend à « domestiquer » l’art, à l’intégrer dans un cadre qui le prive de son essence universelle.

Prenons l’exemple des sculptures religieuses contemporaines. Souvent réalisées par des amateurs, elles souffrent d’une absence de maîtrise technique et d’harmonie esthétique. Les matières employées sont parfois inadaptées à leur fonction, et les formes manquent de cohérence. Ces œuvres, loin de réunir l’art et le sacré, illustrent davantage la difficile coexistence des deux sphères.

Le sujet lui- même, tiré de textes « sacrés », ne rend pas à la sculpture ce qu’elle perd lors du manque de technique.

Art sacré vers une appropriation mutuelle

Dans ce contexte, on peut affirmer que l’« art sacré » est souvent une tentative d’appropriation réciproque. L’art prétend revêtir une aura sacrée pour toucher au transcendant, tandis que le sacral emprunte le langage de l’art pour renforcer son pouvoir d’attraction. Cette alliance d’intérêt mutuel ne réussit que rarement à créer une symbiose véritable.

…et la magie de l’art exorcisée, éteint la vie qui y était contenue.

Dans les pires cas, le sacré étouffe l’art en le réduisant à un outil fonctionnel, privé de tout souffle créatif. Par ailleurs, lorsque l’art s’émancipe du sacré pour chercher une profondeur propre, il se libère de cette relation, mais perd alors son ancrage spirituel.

Une invitation à la réflexion

Cette « magie » de l’art, exorcisée, provoque dans une sculpture ou une peinture par exemple l’absence de modelé, celui- ci étant jugé trop sensuel !
– Des œuvres plates et pales dues également au manque souvent radical de technique paraissent regrettables.

L'amalgame éloigne le résultat de l'art

Si l’œuvre, en particulier la sculpture provient d’une technique, elle ne se confond pas avec le « sacré ».
Il s’agirait de « faire de l’art » pour que cela soit religieux, quel- que soit le thème

  • Emporté par une grâce extraordinaire ?
  • inspiré divinement ?

Si je dissocie l’art du travail nécessaire à exécuter une sculpture, je néglige la technique, cela se constate : le monstre n’est pas inventé par les temps modernes : Des œuvres le manifestent : une contradiction se trouve dans leur finalité, une contradiction inévitable :

  • Amalgamées, les figures sont «monstrueuses», les proportions bafouées, proches de la déshumanisation, et là se trouve la laideur.

La distance voulue avec une technique, met en exergue l’œuvre apolitique, ou anti- politique, comme si à cet endroit était placée la supériorité de la grâce sur le temporel.
Dans le résultat hétéroclite et souvent d’amateur, règne une nostalgie plus qu’une inspiration artistique ; le raisonnable se veut supérieur au génie vivant et donc à l’art et la vie qui est capitale dans le contenu de l’œuvre artistique.

Une invitation à la réflexion

La sculpture, en tant qu’art tridimensionnel, offre une perspective unique pour explorer cette tension. Les artistes désirant créer des œuvres dites sacrées doivent-ils sacrifier l’autonomie de l’art ? Ou, à l’inverse, est-il possible de réinventer une harmonie entre ces deux dimensions sans que l’une ne subjugue l’autre ?

Dans notre monde contemporain, où l’esthétique et le spirituel semblent à nouveau chercher à se rencontrer, la réponse à cette question pourrait redéfinir non seulement l’étiquette « art sacré », mais également la place de l’art dans nos vies.

Martin Damay

Martin Damay est sculpteur professionnel. La pierre est la matière dominante de ses statues. Tailleur de cette pierre il s'est formé auprès de nombreux maîtres à partir de 1986. Le figuratif est devenu sa spécialité pour la sculpture de toute taille.