La sculpture de la pierre et la liberté

“La multiplicité des règles ne sont pas une limite à la liberté” (Georges Braque).

Mon expérience de la sculpture de la pierre ne peut facilement accepter une définition de la liberté qui laisse place à l’aléatoire.

La fascination de l’acte de sculpter engendre l’aliénation, ou l’acte mu par sa propre liberté crée une séparation d’avec son objectif premier.
Définissons la liberté afin d’améliorer le geste, l’objectif, et si possible l’œuvre.

“La liberté c’est se libérer d’un certain automatisme. La multiplicité des règles ne sont pas une limite à la liberté” (Georges Braque).

Sculpture, pierre/liberté

Le mot « liberté » peut être associé à l’acte de sculpter ou à l’art : L’art est souvent mis en relation avec la “liberté”.
Mais la fascination engendrée par l’acte dont l’objectif est peu fixé crée un asservissement.
L’effet Pygmalion est une “fascination déviée”.

Consulter aussi :

La sculpture, l'aliénation ou la fascination

“L’absence de règles est une limitation terrible…” Picasso

J’utilise avec prudence le mot de liberté et cela déçoit l’amateur d’art. Celui- ci se confronte un jour ou l’autre à la matière et en particulier la pierre.
C’est à dire que la technique tient une place importante dans la fabrication, et elle est préalable plus en fait que la liberté.

Il est évident que la seule liberté est impuissante devant la matière, et elle découvre souvent trop tard qu’elle n’est pas LE moyen adapté pour créer.

Le résultat d’un travail qui place la liberté comme une première revendication est souvent peu positif.
La réussite d’une sculpture n’est pas une « demi- mesure ». Elle est : Une victoire, un triomphe sur la matière.

La liberté ne triomphe pas de la matière : la matière la précède.

La raison de l’acte de sculpter se trouve peut être dans la matière: (“je suis motivé à l’idée de transformer cette pierre, à cause de cette pierre”), mais le sujet à sculpter n’est pas inscrit dans la pierre comme contenu préalable.

La sculpture où la liberté se confronte à la matière

sculpture liberté
Statue de Johnny : la puissance de la matière asservit l'artiste.

« L’art moderne s’achemine vers son déclin, parce qu’il n’existe plus d’art académique fort. Il faut une règle, même si elle est mauvaise, parce que la puissance de l’art s’affirme dans la rupture des tabous. Supprimer les obstacles ce n’est pas la liberté … » Picasso

La confrontation de deux esprits

Sculpter a bien pour but de réaliser un “élément” de la nature, emprunté à celle- ci.
Cette nature inscrite dans le concept, qui est -dans- le sujet à sculpter, va rencontrer une autre nature, celle de la matière, la pierre !

C'est bien la confrontation de deux esprits

L’esprit affirme alors sa volonté : le sujet à réaliser et à concrétiser dans une matière pierre.
Ce sujet n’est pas une pierre, il fait partie du vivant autre (un personnage, un objet…).
Or ce vivant contient ses propres caractéristiques physiques, lois nobles, inséparables de lui, insécables; ce vivant qui, à l’origine de l’idée, du concept de la sculpture, du projet en soi, le but en définitive.

Pourquoi la liberté n’est elle pas première dans la réalisation d’une sculpture, ou tout au moins dans sa genèse ?

  • La pierre, nue, vierge, contient ses lois propres. Sa forme lui vient de son histoire, non travaillée par l’industrie humaine.
  • Le sujet, lui, indépendant au préalable de la matière, contient ses lois propres aussi, plus nombreuses que la pierre vierge.
    Or la sculpture consiste précisément à imposer à la pierre, les lois et les caractéristiques plastiques du sujet.
    Lui imposer toutes ses virtualités nobles, quel que soit celui- ci.

La liberté, en soi légitime à l’humain ne trouve pas sa place précisément dans la genèse du geste, car la matière, la matérialité de la pierre, réclament de la rigueur et de la détermination :

  • La dureté, la résistance aux injonctions de l’outil obligent le sculpteur à ré- affirmer :
    – ses plans
    – ses lignes
    – son concept. Il n’y a pas d’alternative à ce procédé qui doit revenir toujours à:
    – La détermination conceptuelle
    – tridimensionnelle
    – détermination du beau
    – détermination envers les lois physiques naturelles
    – détermination du sujet recherché

“Quand la peinture a perdu tout rapport avec la tradition et quand l’impressionnisme a permis à chaque peintre de faire ce qu’il voulait, ce fut l’anarchie…alors il n’y a plus eu de peinture… la sculpture est morte de la même mort”. (Picasso)

Liberté ou est ta victoire ?

L’expression contemporaine perd donc la victoire sur la matière.
La sculpture, ou l’art, deviennent des lieux de faiblesse : la nature n’est plus amie de la réalisation, mais elle en devient hostile.

Le geste se perd à trop s’admirer. Il se veut libre mais détaché de toute technique, il devient faible devant la force et la puissance de la matière.

Au rythme du travail qui se détache de normes ou de règles qui doivent le régir pour le bien, il en ressort de la matière des formes qui prennent la place de motif, de raison : La forme apparaissant alors fascine mais elle a quitté les valeurs de la vraie sculpture, surtout la vie initiale qui doit transparaître lorsque le concept est tenu et la matière vaincue.

Martin Damay

Martin Damay est sculpteur professionnel. La pierre est la matière dominante de ses statues. Tailleur de cette pierre il s'est formé auprès de nombreux maîtres à partir de 1986. Le figuratif est devenu sa spécialité pour la sculpture de toute taille.